Ghana : Recrudescence des attaques contre les journalistes en toute impunité

Ghana : Recrudescence des attaques contre les journalistes en toute impunité - Media

A soldier in cap and dark shade about to assault a reporter for just taking pictures (photo taken by a local media repoter)

ARTICLE 19 est extrêmement préoccupée par les attaques répétitives dont sont victimes les journalistes et invite les autorités ghanéennes à tout mettre en œuvre pour renforcer la protection des médias et la sécurité des journalistes.

L’organisation a en outre invité les autorités à diligenter des enquêtes indépendantes et transparentes sur toutes les attaques répertoriées et à traduire en justice les présumés coupables.

« La violence envers les journalistes est tout à fait inadmissible. L’État a la responsabilité de garantir la sécurité et la protection des journalistes et des médias. De telles attaques sont intimidantes pour les journalistes et sont susceptibles de déboucher sur une auto-censure dans la couverture de reportages qui peuvent être dangereux. Le gouvernement doit enquêter sur ces attaques et instaurer un environnement habilitant pour les journalistes et privilégier leur sécurité », a déclaré Fatou Jagne Senghore, Directrice Régionale d’ARTICLE 19 Afrique de l’Ouest.

Au cours des quatre derniers mois, au moins cinq attaques contre des professionnels des médias ont été reportées par des sources locales.

Selon les médias, le 12 août 2020, Sanley Nii Blewu et Joseph Amstrong, deux journalistes de TV3, ont été brutalement menacés à la station de Tema à Accra où ils étaient en mission pour réaliser un reportage télévisé sur la salubrité. Le personnel de sécurité, constitué de quelques soldats, de policiers et de membres du groupe de travail de l’AMA, a contraint les journalistes à supprimer les images qu’ils avaient prises. L’un des deux journalistes qui avait réussi à s’échapper a affirmé qu’un des soldats avait utilisé ses bottes pour frapper la poitrine de son confrère, briser son appareil photo et avait pris le téléphone de ce dernier avant de le mettre en cellule.

Emmanuel Pacome a été attaqué le 7 juillet par des étudiants du lycée de Kukurantumi, dans la région Est du Ghana, alors qu’il couvrait les agressions des étudiants contre des responsables du Conseil des examens d’Afrique de l’Ouest (WAEC). Les fonctionnaires qui supervisaient l’examen WASSCE en cours dans leur école, auraient été accusés d’être trop stricts. Après que la police ait été appelée à intervenir, certains étudiants ont dirigé leur colère contre le journaliste qu’ils avaient repéré en train de filmer leur comportement violent. Blessé, Pacome, qui s’est vu confisquer son matériel, en a informé la police.

Le 6 juillet, selon le responsable de la section régionale du Congrès national démocratique de Savannah, Abraham Ananpansah, un journaliste de PAD FM à Damango a été attaqué par un représentant du Nouveau parti patriotique (NPP) dans la région de Savanah.

Le 20 juin, la police a harcelé et arrêté une journaliste pour avoir pris des photos lors des primaires du NPP. Rebecca Asheley Armarh faisait un reportage à Tema Manhean pour le compte de Kingdom FM.

Le 5 avril 2020, Yusuf Abdul-Ganiyu , Directeur Général de Zuria FM et correspondant de la Deutsche Welle, a été attaqué et battu par un membre des forces de sécurité alors qu’il était en mission à Kumasi, au nord-ouest du Ghana pour faire un reportage sur l’efficacité du confinement lié à la pandémie du coronavirus.

« Ces attaques contre les journalistes sont une menace pour la liberté des médias et la liberté d’expression. Elles constituent un obstacle au droit à l’information car elles entravent le libre accès et la circulation de l’information. Les responsables politiques et les institutions publiques doivent permettre aux journalistes de rendre compte librement des politiques qu’ils adoptent. Ils ne doivent jamais intimider les journalistes qui ne font que couvrir leurs activités publiques », a déclaré Fatou Jagne Senghore.

Une enquête sur les attaques contre les journalistes est indispensable

Tant les lois ghanéennes que les normes internationales en matière de droits de l’homme exigent de l’État qu’il intervienne pour empêcher, interdire et enquêter sur les crimes contre les journalistes. Cependant, dans la pratique, cette obligation n’est pas respectée. Les auteurs du meurtre du journaliste Ahmed Hussein-Suale l’année dernière, par exemple, n’ont toujours pas été traduits en justice. La police avait initialement arrêté six personnes soupçonnées d’être impliquées dans le meurtre, mais les avait ensuite toutes relâchées faute de preuves. Depuis lors, personne n’a été tenu pour responsable du meurtre de Ahmed Suale.

En vertu de la constitution du Ghana, la liberté et l’indépendance des médias sont garanties, ce qui crée l’obligation pour les autorités de protéger les journalistes.

En outre, le Ghana a l’obligation de se conformer à la Déclaration de principes de la Commission africaine sur la liberté d’expression et l’accès à l’information en Afrique, qui exige des États qu’ils « veillent à ce que des mesures efficaces, juridiques et autres, soient adoptées pour enquêter, poursuivre et punir les auteurs d’attaques contre les journalistes et autres professionnels des médias, et à ce que les victimes aient accès à des recours effectifs ».

Sur l’ensemble des cas ci-dessus, aucune enquête approfondie n’a été menée par les autorités judiciaires, et aucune poursuite n’a encore moins été engagée contre les présumés responsables afin qu’ils rendent compte de leurs actes pour dissuader de nouveaux auteurs à attaquer des journalistes.

« Le gouvernement ghanéen a le devoir de respecter la législation et les obligations internationales en ce qui concerne la sécurité et la protection des médias. Les attaques contre les journalistes ne peuvent rester impunies. Nous invitons vivement le gouvernement à diligenter une enquête pour chaque cas et à poursuivre en justice les présumés coupables. Les forces de sécurité et les partis politiques doivent informer leurs membres des obligations en matière de protection des journalistes et des médias et les peines encourues par quiconque viole ces obligations », a insisté la Directrice Régionale de ARTICLE19, Afrique de l’Ouest.

ARTICLE 19 a interrogé 3 journalistes, dont une victime des attaques récurrentes contre les journalistes et l’impunité.

« Le métier de journaliste n’est pas un délit. Une démocratie forte a besoin de médias forts et indépendants pour informer les citoyens, garantir un engagement positif et tenir responsables ceux qui exercent ou ambitionnent d’exercer des mandats publics. Comme les autres travailleurs, nous devrions être protégés. Perpétuer le cercle de l’impunité ne fera qu’augmenter les risques pour les journalistes et anéantira progressivement le droit à l’information au Ghana », a déclaré un journaliste anonyme et victime des mauvais traitements.

Depuis quelques années, l’Association des journalistes du Ghana (GJA) milite en faveur de la cessation de toute forme d’impunité pour les crimes commis contre les journalistes. Condamnant les attaques et le manque d’action des autorités, le président de la GJA, Affail Monney, s’est fait le porte-parole des préoccupations relatives à la détérioration potentielle de la sécurité des journalistes à l’approche des élections présidentielles et parlementaires du 7 décembre 2020 :

« Tous les regards sont tournés vers le Ghana pour qu’il conserve ses acquis démocratiques ou les renforce. Les médias ont un rôle indispensable à jouer dans les élections, tandis que l’État s’acquitte de sa responsabilité de protéger les journalistes. Les deux entités ne doivent pas trahir la nation« .

Témoignage d’un autre journaliste qui a préféré garder l’anonymat :

« Au Ghana, les journalistes ont constamment fait l’objet d’agressions brutales au cours des cinq dernières années. De nombreuses exactions ont été commises par le passé. En 2019, Hajia Fati, un partisan du parti au pouvoir, le NPP, a agressé une journaliste du Ghanaian Times, alors que celle-ci était en service. Il y a deux ans, un journaliste de télévision, Godfred Tanam, a été agressé par des voyous du parti au pouvoir alors qu’il était en service. En 2018, deux journalistes du groupe multimédia, Latif Iddris et Kwesi Parker, avaient de nouveau été agressés par des policiers lors d’événements distincts, dans l’exercice de leurs fonctions. Il y a cinq ans, alors que j’étais en mission officielle, mon appareil photo a été récupéré sous la menace d’une arme. Le plus grave, est que les élections générales auront lieu le 7 décembre et que ces brutalités perdurent et pourraient même s’intensifier compte tenu du grand nombre d’attaques contre des journalistes cette année sans que des poursuites soient engagées ».

Les autorités ghanéennes doivent mettre en application leurs engagements nationaux et internationaux en faveur de médias libres

La Constitution du Ghana garantit la liberté et l’indépendance des médias, ce qui impose aux détenteurs du pouvoir, l’obligation de les protéger contre toute éventuelle tentative d’atteinte à leur liberté. La résolution 33/2 sur la sécurité des journalistes, adoptée en 2016 par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, expose les mesures que les États doivent prendre pour prévenir la violence contre les journalistes, les mettre à l’abri de telles attaques et traduire les auteurs en justice. En mars 2018, lors du dernier Examen Périodique Universel (EPU), le Ghana s’est engagé à adopter une loi garantissant la liberté des médias.

ARTICLE 19 demande aux autorités ghanéennes de renverser cette tendance lamentable et de favoriser la création d’un environnement propice et sécurisé pour les journalistes et les institutions médiatiques. Fatou Jagne Senghore a terminé en recommandant :

« Le métier de journaliste n’est pas un délit. Le Ghana doit renforcer ses mesures pour garantir la sécurité des journalistes et des autres professionnels des médias et prendre des mesures pour assurer la circulation de l’information sans que les journalistes ne courent de risques. Par ailleurs, il est important d’enquêter sur toutes les attaques contre les journalistes et de traduire en justice les auteurs présumés afin de décourager de nouvelles attaques et de permettre aux victimes d’obtenir réparation ».

» La liberté des médias est vitale pour la démocratie et particulièrement pendant la pandémie de COVID19. Les acteurs politiques, les forces de sécurité et les citoyens devraient respecter l’indépendance des médias et s’abstenir de tout acte qui compromettrait la sécurité des médias ».

« Pour remplir ses obligations en faveur de médias libres et d’un environnement favorable à la presse, le Ghana doit, de toute urgence adopter un code de la presse qui garantisse l’indépendance des médias et impose la nécessité de rendre compte de la sécurité des journalistes et de la protection des médias ».

Le Ghana occupe actuellement la 30e place du classement mondial de la liberté de la presse en 2020, perdant 3 places par rapport à 2019.

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Eliane Nyobe, Assistante de programme senior, ARTICLE 19 Sénégal/Afrique de l’Ouest

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