Tunisie : Les pressions à l’encontre du travail journalistique, éditorial, et artistique menacent la liberté d’expression

La liberté d’expression en Tunisie fait aujourd’hui l’objet de menaces qui émanent des pouvoirs publics et semblent inspirées par des stratégies politiciennes. L’existence présumée de pressions contre la diffusion d’un interview de l’ancien président Marzouki, l’arrestation et poursuite des journalistes et blogueurs ainsi que l’intention d’interdire la projection d’une œuvre audiovisuelle, suscitent la préoccupation d’ARTICLE 19 qui appelle les autorités, les instances indépendantes, les médias et les journalistes à s’engager dans la défense de la liberté d’expression et d’information.

« La multiplication d’intimidations , d’ingérences et de poursuites contre les médias, les journalistes et les blogueurs constitue autant de menaces sur la liberté d’expression, et lance un message négatif qui est en contradiction flagrante avec l’engagement exprimé par le nouveau gouvernement, lors du vote de confiance à l’ARP, de garantir la liberté d’expression et d’information, » a déclaré Saloua Ghazouani, Directrice du bureau tunisien d’ARTICLE 19.

La semaine dernière, l’allégation de pressions visant à obtenir qu’Attassia TV renonce à diffuser une interview de l’ancien président Moncef Marzouki a déclenché une vive polémique. Si M. Marzouki a été le premier à dénoncer l’existence de cette tentative d’ingérence dans la liberté éditoriale de la chaîne de télévision, Attassia TV a ensuite confirmé ses dires, sans toutefois préciser la source desdites pressions.

Des représentants de la présidence de la République et de la Présidence du gouvernement ont démenti toute tentative d’ingérence dans l’indépendance éditoriale d’Attassia TV. De son côté, la HAICA, dans un communiqué publié le vendredi 16 septembre, a demandé à ces autorités l’ouverture d’une enquête sur le bien-fondé des accusations portées à leur encontre.

La blogueuse et cyber-activiste Lina Ben Mhani fait objet de poursuites judiciaires. La blogueuse a comparu le 19 septembre devant le tribunal de première instance à Médenine à la suite d’une plainte déposée par des agents de sécurité qui l’ont accusée d’outrage à l’égard de fonctionnaires. La blogueuse a de son côté porté plainte pour insultes et harcèlement contre les auteurs de ces accusations, qui datent d’août 2014, une époque où Lina Ben Mhenni bénéficiait d’une protection car son nom figurait sur la liste des personnalités menacées d’assassinat.

Le journaliste et correspondant de l’unité de « Rasd » du Centre de Tunis de la liberté de la presse à Gabes, Moez Jamaii, a été arrêté le 17 septembre, après un échange verbal avec les forces de l’ordre. Il a été relâché au bout de deux jours. De nombreux professionnels des médias se plaignent de ce qu’un climat de harcèlement à leur égard semble s’installer en Tunisie.

Le film Iranien « Muhammad, le messager de Dieu », réalisé par Majid Majidi, a créé une polémique à laquelle ont pris part les médias, des officiels du ministère de la culture et de la Sauvegarde du Patrimoine et des députés. La controverse semble avoir été déclenchée sur les réseaux sociaux par  un appel à l’interdiction de sa diffusion en salle, et ce avant même la soumission de demande de visa d’exploitation commerciale.

‘’De telles pressions à l’encontre du travail journalistique, éditorial et artistique, manifestent l’existence d’un risque grave d’un retour à la censure et à l’autocensure’’ souligne Mme Ghazouani. ‘’Nous appelons les autorités publiques et les instances indépendantes à assurer la protection de la liberté d’expression, l’indépendance éditoriale des médias ainsi que la liberté d’expression artistique et le droit à l’épanouissement culturel ’’ ajoute Mme Ghazouani.

 ARTICLE 19 rappelle que la liberté d’expression et d’information, telle que protégée par les articles 31, 32 et 49 de la constitution, est un droit fondamental qui doit pouvoir être exercé sous toutes ses formes par toute personne.

ARTICLE 19 appelle les présidences de la république et du gouvernement à ouvrir une enquête sur les accusations d’ingérence dans la liberté éditoriale des médias qui sont formées à leur égard, afin de pouvoir sanctionner les éventuels responsables de cette atteinte à la liberté des médias.

ARTICLE 19 appelle également les autorités à adopter les mesures nécessaires afin de mettre fin aux pratiques d’intimidation qui semblent se développer en Tunisie à l’encontre de certains journalistes, blogueurs ou artistes.

ARTICLE 19 invite les médias et journalistes à s’engager davantage afin de garantir à la population l’accès à une information fiable produite dans le respect de la déontologie professionnelle.

ARTICLE 19 réitère son engagement en faveur de la liberté d’expression en Tunisie et appelle toutes les parties prenantes à accélérer le processus de la mise en place d’une institution d’autorégulation (le Conseil de Presse) qui jouera le rôle de médiateur, de protecteur de la liberté de presse, et de pédagogue auprès du secteur médiatique, des autorités et de la société civile.