Sénégal : La montée de la violence contre les opinions divergentes menace la démocratie

Sénégal : La montée de la violence contre les opinions divergentes menace la démocratie - Civic Space

Security forces surround the vehicle of a political opponent in Senegal. Photo: PressAfrik

ARTICLE 19 est vivement préoccupé par la situation politique actuelle au Sénégal, qui se caractérise par une escalade de la tension et de la violence verbale entre les acteurs politiques de la mouvance et de l’opposition. 

Au cours de la période du 4 janvier au 16 février 2023, on a assisté à différentes atteintes à l’espace civique avec notamment l’interdiction de manifestations, des  affrontements entre des militants de l’opposition et les forces de l’ordre qui tentaient de les empêcher d’organiser une manifestation non autorisée , la dispersion des rassemblements à coup de gaz lacrymogènes , la coupure du signal d’un média, des arrestations parmi des manifestants, des attaques verbales entre rivaux politiques. 

La montée de l’intolérance contre les opinions politiques divergentes est très inquiétante à 12 mois de l’élection présidentielle fixée en février 2024 et ce alors que la question d’une possible candidature du Président Macky Sall pour briguer un nouveau mandat après avoir été élu deux fois alimente le débat politique et que l’opposant Ousmane Sonko, qui s’est déclaré candidat à la prochaine élection présidentielle fait face à deux procès, l’un pour diffamation et l’autre pour viol. 

ARTICLE 19 invite les autorités à prendre les mesures nécessaires pour garantir l’exercice des droits à la liberté d’expression, d’assemblée, y compris le droit de manifester en toute sécurité et le droit pour les médias à couvrir les activités politiques en toute liberté et indépendance. Les différentes parties concernées doivent également coopérer pour résoudre les différends de manière pacifique et respectueuse et s’abstenir de toute forme des violences contre les biens et les personnes.

Alfred Bulakali, Directeur Régional d’ARTICLE 19 Sénégal et Afrique de l’Ouest, a déclaré : « Les restrictions à l’espace civique à travers des atteintes à la liberté de manifester et aux médias ainsi que la violence constituent un coup à la bonne marche de la démocratie et la stabilité d’un état de droit.  Les droits fondamentaux tels que la liberté d’expression et de manifestation, le droit d’informer pour les médias doivent être respectés en tout temps. Les leaders politiques doivent œuvrer pour la désescalade et l’apaisement, promouvoir la pluralité des opinions politiques et leur expression sans pouvoir craindre.»

«Les citoyens ont besoin d’un espace civique habilitant pour pouvoir prendre part au jeu politique dans la diversité d’opinions et concourir à la consolidation de la démocratie et de l’état de droit. Les médias doivent œuvrer dans des conditions qui leur permettent de véhiculer les différentes opinions et informer les populations en toute indépendance et sécurité.» 

Tout en soulignant que la liberté de manifester est un droit garanti par la constitution du Sénégal et les mécanismes régionaux et internationaux sur la liberté d’expression et la liberté d’assemblée pacifique et la nécessité pour les autorités de garantir son exercice en toute sécurité, ARTICLE 19 reconnait que la violence et le pillage peuvent être sanctionnés par la loi.

Le procès de Ousmane Sonko et la répression des manifestations

Le Jeudi 16 Février, alors que l’opposant Ousmane Sonko, accompagné de ses militants, rentrait du tribunal où il était convoqué à comparaître dans une affaire en diffamation dont l’accuse  le Ministre du tourisme et des loisirs, Mame Mbaye Niang, les forces de l’ordre ont arrêté son cortège,  l’ont extirpé de sa voiture et l’ont conduit chez lui dans leur fourgonnette blindée. Des images auxquelles ARTICLE 19 a eu accès montrent la vitre de son véhicule brisée lors de cette altercation. Il a par la suite été interdit de se rendre à une conférence de presse qu’il devait tenir dans les locaux de son parti.  ARTICLE 19 a visualisé une vidéo dans laquelle les forces de l’ordre ont fait usage de gaz lacrymogènes pour l’empêcher de se rendre à cette conférence de presse. Bien avant cela, les forces de l’ordre avait fait usage de gaz lacrymogènes pour disperser une centaine de partisans rassemblés devant le tribunal pour assister au procès de l’opposant Sonko. 

Ce ne sont pas des réponses isolées au procès de Sonko, aux manifestants qui le soutiennent, ou aux médias qui couvrent l’affaire. Avant cela,  le 2 février 2023, des journalistes et cadreurs ont été brutalisés avant d’être chassés des environs de la Cité Keur Gorgui et plusieurs personnes arrêtées et déférées au parquet en marge du procès pour diffamation opposant le ministre Mame Mbaye Niang à l’opposant Ousmane Sonko, le Président du parti PASTEF. Il leur a été reproché un attroupement non autorisé. 

Aussi, selon les rapports des médias, le samedi 4 février 2023 à Diourbel, des militants du parti PASTEF ont été arrêtés pendant leurs activités de sensibilisation politique des jeunes, sur l’importance de s’inscrire sur les listes électorales.  

Une pression inquiétante sur les activistes et les médias

Le Vendredi 10 février, des actes de saccage et de pillage ont été commis dans le centre-ville de Mbacké suite à la non-autorisation d’un meeting politique prévu par un parti de l’opposition les Patriotes Africains du Sénégal pour le Travail, l’Ethique et la Fraternité́, PASTEF-LES PATRIOTES. Les autorités ont invoqué un manque de conformité dans la demande d’autorisation pour annuler le meeting. Suite à ces événements, au moins 69 personnes ont été arrêtées. Un communiqué du substitut du procureur de la République de Diourbel fait état de ‘faits d’une particulière gravité’. Il a, à cet effet requis l’ouverture d’une information judiciaire en visant cinq chefs d’inculpation dont manœuvres et actes de nature à compromettre la sécurité publique, ou à occasionner des troubles politiques graves, ou simplement à enfreindre les lois. Selon le rapport des médias,54 personnes ont été placées sous mandat de dépôt et 15 personnes dont des étudiants et des mineurs ont été relaxées. 

Egalement, 10 Février, 2023, le signal de la télévision Walf TV a été coupé pour une durée de sept (07) jours par le Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel (CNRA). Il est reproché à la télévision d’avoir fait une couverture jugée “irresponsable” de la manifestation à Mbacké. 

L’Association des professionnels de la Presse en Ligne du Sénégal a qualifié la décision de la CNRA d’arbitraire. Cité par Radio France Internationale – RFI Monsieur Ibrahima Lissa Faye, Président de ladite association a ainsi déclaré que cette décision était illégale et inquiétante dans la perspective de l’élection présidentielle de Février 2024. Il ajoute que : c’est une décision unique et qui ne se justifie pas parce que Walf TV n’a pas commis de fautes ni d’erreurs.»

Pour protester contre la décision de la CNRA, les acteurs de la presse ont projeté de manifester le samedi 18 février 2023. Cependant, leur manifestation n’a pas été autorisée par les autorités en raison des préoccupations relatives au maintien de l’ordre public, au fonctionnement régulier des services publics et à la libre circulation des personnes et des biens.

Au lendemain de la coupure du signal de Walf TV, ARTICLE 19 a exprimé sa vive préoccupation et les conséquences pour la liberté des médias dans le pays.

« Les mesures des organes publics de régulation doivent être strictement conformes aux normes et mécanismes régionaux et internationaux qui garantissent la liberté d’expression et l’accès à l’information et respecter toute procédure prévue par la loi. Nous appelons la CNRA à envoyer un signal positif aux médias en annulant cette mesure excessive qui menace la liberté des médias et est de nature à provoquer l’auto-censure privant les citoyens de l’accès à l’information. », a déclaré Alfred Bulakali, Directeur d’Article 19 Sénégal et Afrique de l’Ouest

La récente décision du CNRA fait suite à de précédentes arrestations de militants soutenant le journaliste d’investigation et propriétaire du site internet Dakar Matin, Pape Alé Niang. Le 04 janvier 2023,  trois activistes Ousmane SARR, Amadou Salam DIALLO et Beyna Gueye NIANG qui manifestaient devant le Petit Palais pour la libération du journaliste d’investigation et patron du site web Dakar Matin Pape Alé NIANG lors de l’audience accordée par le premier Ministre Amadou BA à la société civile ont été arrêtés. Ils sont reconnus coupables des faits de participation à une manifestation non déclarée et trouble à l’ordre public et condamnés à deux (2) mois de prisons ferme. 

Respect des normes internationales et régionales

En tant que signataire de nombreux pactes et conventions, y compris le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) ainsi que la CADHP, l’État du Sénégal est lié par des normes internationales qui l’obligent à garantir que ses citoyens puissent exercer leurs droits fondamentaux pleinement. De plus, le Commentaire général n° 34 du PIDCP souligne l’importance de la liberté d’expression lors de la conduite des affaires publiques et pour l’exercice effectif du droit de vote. La communication libre d’informations et d’idées concernant les questions publiques et politiques entre les citoyens, les candidats et les représentants élus est essentielle. Cela nécessite que la presse libre et les autres médias indépendants soient autorisés à commenter toute question publique et à informer l’opinion publique. 

ARTICLE 19 appelle l’État et les partis politiques à prendre note des orientations fournies dans le Commentaire Général sur la promotion et la protection de la liberté d’expression dans ce contexte.

Interrogé sur la situation actuelle du pays, le militant des droits de l‘homme, ancien Directeur d’Amnesty International Sénégal et Fondateur du think thank AfricaJom Center, ALIOUNE TINE, a attiré l’attention des acteurs politiques sur les conséquences néfastes d’une telle situation si des mesures n’étaient pas prises : « La détérioration des libertés fondamentales, telles que la liberté d’expression et de presse, ainsi que la censure, peuvent avoir un effet catastrophique sur une société. Si la justice, l’administration et la police sont politisées, cela peut encore aggraver la situation. Pour y remédier, il est essentiel d’établir un dialogue politique et de chercher des moyens d’apaisement pour restaurer ces libertés fondamentales et rétablir la confiance dans les institutions publiques. Une telle action est nécessaire pour préserver les droits humains et garantir un avenir stable et démocratique ».

L’élection présidentielle qui se dessine à l’horizon doit être une opportunité pour garantir la pluralité d’opinions au sein de l’espace civique et d’autres valeurs inhérentes à une société démocratique et l’état de droit pour favoriser. La prochaine élection présidentielle devrait être l’occasion de garantir la pluralité d’opinion au sein de l’espace civique et de favoriser d’autres valeurs inhérentes à une société démocratique et à l’État de droit.  ARTICLE 19 continuera à sensibiliser aux violations des valeurs démocratiques et des lois qui les soutiennent, et à faire campagne pour la liberté d’expression et le droit de manifester.

Pour plus d’informations, veuillez contacter :

Maateuw Mbaye, Assistant de programme, ARTICLE 19 Sénégal/Afrique de l’Ouest Email : [email protected]   T : +221785958337

Aissata Diallo Dieng, Cheffe de bureau, ARTICLE 19 Sénégal/Afrique de l’Ouest Email : [email protected]   T : +221338690322